J'ai beaucoup aimé cette fresque au travers d'une vie, remplie de simplicité et d'authenticité, errance entre la Chine, la France du 20e siècle. Je ne connaissais pas du tout François Cheng quand j'en ai commencé la lecture. Le lendemain je visitais une exposition de peintures avec les enfants à Vézelay et en discutant avec l'artiste, nous échangions sur différentes références littéraires en relation avec ses œuvres comme Françoise l'Héritier et Christian Bobin. Elle me parle alors de François Cheng. Drôle de coïncidence qui a tout de suite éveillé mon intérêt pour la suite de la lecture.
L'auteur nous montre la vie de Tian-Yi avec un regard de peintre. Il nous aide à voir les paysages chinois avec les techniques orientales et nous accompagne à sa (et ma) découverte de Masaccio, peintre de la Renaissance au moment où la peinture – et la philosophie – met l'Homme occidental au centre : « Sur fond d'univers objectif, l'homme jouait maintenant le rôle principal. L'univers, tout en participant è l'action de l'homme, était relégué au rôle de décor. [..] Commencement de la grandeur. Commencement de la solitude. »
Il nous montre aussi l'errance du personnage principal, dans son pays, à l'étranger dans une France peu accueillante, au travers de la guerre civile puis de la Seconde guerre mondiale et la Révolution culturelle, toutes périodes de bouleversements où la valeur de la personne humaine est réduite à presque rien : « Je me rappelais qu'elle aurait, avant tout, à briser le carcan de la fatalité. »
La France sera toujours la France : « ...la conversation revint à la Chine. Mais je n'avais pas trop à me fatiguer, car plusieurs convives savaient mieux que moi ce qu'est un Chinois ou ce que doit être un Chinois. » Cela me rappelle une anecdote que j'ai vécue il y a 15 ans à l'Assemblée nationale en France. Invité par les Verts, j'avais assisté à une réunion de députés avec une délégation d'un parti afghan en tournée à Paris, juste après le déclenchement de l'invasion américaine de l'Afghanistan. J'avais alors constaté comment les Français posaient des questions qui servaient surtout à montrer leur connaissance d'une partie du problème, sans s'intéresser le moindrement à la réponse de leur interlocuteur... ;-)
Il nous montre aussi l'amour et l'amitié fortes qui le lient à Yumei, l'Amante, qui représente la liberté et Haolang, le modèle qui lui aussi erre, change, s'engage. C'est une ode à la question du rapport à l'autre, à « ...la difficulté qu'il y avait à toucher la vraie profondeur d'un autre, a fortiori un autre féminin. Oui, l'homme peut-il rejoindre l'extrême désir de la femme dont elle-même ne peut sonder le fond? Il y a certes la tendresse sans bornes qui fait tomber comme de vaines poussières préventions et fantasmes de l'homme. Il y a des moments d'extase qui entretiennent éphémèrement le rêve de l'Un. L'homme, taraudé par le fini, s'échine à rejoindre la femme, envahie par l'infini, sans jamais y parvenir. Il lui reste à demeurer cet enfant abandonné qui pleure au bord de l'océan. L'homme s'apaiserait s'il consentait à écouter seulement la musique qui résonne là , en lui et hors de lui - d'écouter humblement la femme devenue un chant trop nostalgique pour être accessible. »
Assez ignorant de la culture chinoise, j'ai beaucoup apprécié ce regard de comparaison entre l'Orient et l'Occident, à travers différents prismes artistiques, incluant la pâtisserie : « À la forme souple, dodue, comme ayant poussé naturellement, des gâteaux chinois, s'opposent ici des pièces aux contours nets, géométriques, miniatures de quelque ouvrage sculpté ou de quelque construction architecturale. »
Bref, « ça sent le fleuve! »
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